Tel un acte de résistance, les œuvres sereines de Malbine, célèbre sculptrice troinésienne, tranchent sur l’anxiété du monde. Les huit statues de bronze qu’héberge le parc qui porte son nom près de la Mairie sont à l’écho d’une vie de création vouée à la paix, à l’humanisme et à l’ouverture au monde.
En mai 2020, Malbine âgée de 103 ans s’en est allée sculpter dans d’autres jardins. Son nom n’était pas forcément familier aux oreilles des Genevois, mais son œuvre accompagne depuis longtemps le flâneur à travers les espaces publics du canton. Des deux fillettes complices, ballon et cerceau à la main, dans le parc de Malbine, au «Petit Acrobate» en équilibre sur son ballon à la Cité Universitaire en passant par «La Fille au poisson» au parc des Cropettes, Malbine a ponctué promenades et jardins de ses statues. «Il s’agit de l’artiste la plus exposée à Genève», relève Jacques Boesch, coauteur d’un ouvrage sur la créatrice et également secrétaire général d’Art for Help, la fondation qu’elle avait constituée en 2011 pour venir en aide à l’enfance en détresse via le soutien à des organisations humanitaires.
Les huit statues de grand format installés depuis 2017 dans le parc qui porte son nom à Troinex évoquent son rapport fervent aux corps graciles, innocents, tous révélateurs d’une œuvre consacrée principalement à l’enfance, à l’adolescence et à la maternité. Un concentré d’énergie positive, ode à la sérénité, qui s’accorde curieusement avec le tempérament de feu de l’artiste. Libre, n’en faisant qu’à sa tête, en totale résonance avec son ressenti profond, elle avait, dit-on, un caractère bien trempé et une force de vie inouïe. Malbine a creusé son sillon artistique sans se soucier des évolutions artistiques, tournant le dos à l’abstraction des années d’après-guerre. A l’absurdité et aux horreurs du monde, elle opposera une vision idéale de beauté et de douceur à travers le figuratif qui réveille volontiers la mémoire de l’intemporalité.
L’éclat de la vie
Le nom de Malbine qui signifie en hébreu «celle qui fait briller, qui donne la lumière» convient bien à cette femme qui a su transmettre à ses créations le rayonnement de la vie. Leur simplicité allégorique et les évidences de leur propos font que tout un chacun peut s’y reconnaître, voire s’y projeter avec bonheur.
Née Ursula Malbin en 1917 à Berlin de parents juifs, tous deux médecins, elle fuit l’Allemagne nazie en 1939 pour trouver refuge à Genève. Elle y est accueillie par la communauté israélite et certaines personnalités, comme Léon Nicole alors membre du Grand Conseil. Ebéniste de formation, elle prendra très vite la voie de la sculpture et y consacrera toute sa vie. Réfractaire à toute orthodoxie, elle ne fera toutefois qu’une brève incursion à l’Ecole des Beaux-Arts et trouvera les arcanes de son art auprès du sculpteur Henri Pâquet, pédagogue-né et technicien rigoureux qu’elle épousera en 1941, prenant ainsi la nationalité suisse et genevoise. Habitante de Troinex depuis les années 1950, lieu de création de toutes ses sculptures, elle partagera son temps dès 1967 entre la Commune et le village d’artistes d’Ein Hod en Israël. Bientôt, le parc «Le Donjon de la Paix», à Haïfa, sera consacré à ses œuvres.
Offerte au public
«L’art permet de se ressourcer, de rendre espoir. Regarder les belles choses apaise les tensions, suscite l’élévation et permet de grandir», disait Malbine. Elle a veillé à ce que ses sculptures soient accessibles au plus grand nombre. à Genève, elle a choisi les espaces publics avec grand soin, très attentive au positionnement et à l’orientation de chaque œuvre présentée. «Pour l’installation du parc de Troinex, elle était là, contrôlant tout malgré son grand âge et la froidure. Et nul n’aurait osé la contredire», se souvient Jacques Boesch. Sublimant son travail, cet art précis de la mise en scène participe assurément à la réception enthousiaste et émue des visiteurs petits et grands dans les divers lieux d’expositions. On peut aussi découvrir l’atelier troinésien de Malbine et les œuvres dans son jardin, grâce à des visites guidées et commentées, publiques et privées (réservations sur artforhelp.ch). La Fondation Art for Help, en collaboration avec la fille et l’un des petits-fils de l’artiste, respecte ainsi sa volonté d’ouverture de son lieu de création après son départ.
Le crapaud de Henri Pâquet
De l’artiste genevois Henri Pâquet, époux de Malbine, on connaît bien sa «Femme agenouillée» tournée vers l’Orangerie dans le Parc Mon-Repos. Un jeu de volumes en courbes et contre-courbes qui confère à l’ensemble une belle vigueur concentrée.
Âgé de 20 ans de plus que sa femme qui partagea sa vie dès 1941, le sculpteur né à Genève en 1898 décède à Troinex en 1975. Au-dessus de la porte de l‘ancienne Mairie, on peut encore voir l’écusson qu’il a taillé représentant les armoiries de la Commune avec son château à trois tours. On découvre aussi, non loin de la garderie, en face de la ferme Rosset, son crapaud en bronze de quelque 70 cm de long et haut de 60 cm, une œuvre des années 1960 acquise par la Commune.
Habitant la maison près de la Drize où vécurent ses parents sculpteurs, Claudine, leur fille, a décidé de sortir de l’oubli son père et mettre en relief son influence sur le milieu artistique genevois en sa qualité de pédagogue et de créateur.