Depuis quarante ans, Claude Ménétrey exploite le verger de Troinex, propriété de la famille Ormond. Gala, Golden, Jazz ou Kissabel, les variétés de pommes de cet arboriculteur reconnu à Genève poussent sur trois hectares, pour le bonheur des Troinésiens à l’automne. Nous avons rencontré cet amoureux des arbres, qu’il bichonne tout au long de l’année.
Monsieur Ménétrey, depuis quand vous occupez-vous du verger de Troinex ?
Oh, je suis tombé dedans quand j’étais petit ! Quand Monsieur Ormond a commencé à planter, j’avais à peine plus de vingt ans. Aujourd’hui, j’en ai plus de soixante. L’arboriculture, c’est ma passion. C’est un métier très exigeant, on ne s’arrête jamais, on est constamment sur la parcelle. Ma femme s’occupe de l’administratif qui est aussi colossal, croyez-moi. Mais la récompense d’une année de travail, c’est la cueillette. Être à l’extérieur et voir tous ces arbres évoluer, s’en occuper toute l’année, les éclaircir pour obtenir le nombre juste de pommes par arbres, les protéger pour voir grossir leurs beaux fruits, c’est tout simplement magnifique !
Monsieur Ménétrey, à l’heure où nous parlons, comment se portent vos pommiers ?
Il fait très chaud, mais ils vont bien. On vient de terminer la floraison, on a tiré les filets anti-grêle. On ne les tire pas avant, pour que les abeilles puissent polliniser. Les fruits grossissent d’un peu moins d’un millimètre par jour, selon les températures, ça va très vite ! Nous avons surtout passé le moment le plus délicat des risques de gel printaniers, pour lesquels on doit rester très vigilent. La récolte se fera début septembre et s’échelonnera sur environ six semaines, selon les variétés.
Qu’est-ce qui a le plus changé depuis vos débuts ?
Enormément de choses, surtout les techniques de culture. Si mon propre père voyait ça ! Au début, on ne parlait pas d’herbicides ou de pesticides. Maintenant, on fait tout pour traiter le moins possible. Ici, même si on ne fait pas du bio, on a le label «vergers-vivants», pour une culture plus consciente et écologique. On ne se sert de produits de synthèse qu’au début, pour éviter les maladies les plus virulentes comme la tablure. C’est un champignon. Après la floraison, on utilise des produits bio, ce qui nous demande beaucoup plus de travail jusqu’à la récolte, parce que les produits bio résistent moins à la pluie, donc on doit faire plus de passages. Cela dit, on s’adapte volontiers à ces changements. On a une conscience, on ne veut pas polluer les sols.
Donc vous avez mis en place de nouvelles pratiques ?
Oui, on a aussi réduit la consommation d’eau, on désherbe avec des machines mécaniques et on ne se sert presque plus d’insecticides, leur préférant d’autres techniques naturelles. Par exemple, la technique de confusion sexuelle permet d’éviter le carpocapse, ce fameux «ver de la pomme» : on sature les lieux de phéromones que les papillons mâles se perdent et ne trouvent pas les femelles. C’est simple, pas de copulation, pas de vers sous mon toit ! On réintègre aussi de la biodiversité depuis quelques années, avec des espèces auxiliaires comme l’araignée rouge, ce qui recrée un cycle naturel dans les arbres. En fait, on a ramené un équilibre dans le verger.
Vous travaillez en équipes ?
Je travaille avec deux autres personnes à l’année. Puis entre Troinex et mon autre domaine d’exploitation à Meinier, où je fais aussi de la cerise et de la poire, on est une vingtaine pour la récolte. On a aussi une cidrerie. On fait beaucoup de jus de pomme, jusqu’à 300’000 litres par année, avec le label de proximité Genève Région Terre Avenir.
Parlez-nous de la vente directe… C’est une coutume à Troinex ?
Oui, Monsieur Ormond et son épouse organisent ces ventes directes les mercredis et les samedis de septembre à fin octobre. Elles rencontrent un grand succès, pour la proximité qu’elles suscitent : les gens viennent dans le domaine où les pommes sont vendues par sac de 5kgs. C’est également un lieu de rencontre. Ils peuvent nous poser directement des questions sur les modes de production, ils sont tout contents ! Ils comprennent comment on fait les choses au cœur du verger et voient qu’on les fait bien.
Qu’est-ce qui fait une bonne pomme, alors, selon vous ?
La variété, avant tout. Mon coup de cœur, c’est vraiment la Jazz. Elle a toutes les qualités que j’attends pour une pomme : la fermeté, le côté acidulé. Certains préfèrent la Gala pour sa douceur. La nouvelle venue est la Kissabel, une variété que les gens adorent parce qu’elle a la chair rouge. Ça change et c’est intéressant, d’autant qu’elle est excellente et goûtue. Pour les jus, on fait des mélanges pour garder de l’acidité afin d’éviter une douceur souvent trop sucrée. On a vingt ans d’expérience pour cette recette mais je ne vous donnerai évidemment pas le secret !
Au bout de combien de temps un pommier est productif ?
Il faut trois ans avant d’espérer produire de beaux fruits. La deuxième année, il y en a déjà mais il ne faut jamais trop charger un arbre précoce, au risque qu’il ne pousse pas assez. Donc on les débarrasse de leurs fruits les premières années, afin qu’ils grandissent bien. Un arbre peut compter quinze à vingt ans d’exploitation. Après, bien sûr, on pourrait les garder. Cependant ils feront des plus petits fruits de moins bonne qualité. Donc chaque année, on replante environ un hectare sur la parcelle, ce qui représente entre 2’000 à 4’000 arbres.
Ça semble énorme, non ?
C’est beaucoup, mais le renouvèlement est essentiel. À Troinex, par exemple, on a laissé des bouts de parcelle une année ou deux sans planter, pour laisser le terrain se refaire. D’autant que les plus anciens, on les arrache au bout d’environ dix-huit ans. On les broie pour en faire des copeaux. Tout se recycle.
En vous écoutant, on a l’impression que tous les âges de la vie existent dans le verger…
C’est exactement ce que je trouve beau, et j’en ai encore beaucoup à planter !