Ancienne factrice de Troinex, cette amoureuse des chats connaît les Troinésiennes et les Troinésiens comme personne. D’ailleurs, chaque jour ou presque depuis quatorze ans, elle sécurise un passage piéton pour leurs enfants. C’est là qu’on traverse un bout de la vie de Mariette Trachsler, patrouilleuse scolaire bien moins timide qu’elle ne le prétend…
Il a d’abord fallu la dénicher aux alentours de l’école. On demande à Tafla et Catherine, deux de ses collègues patrouilleurs postés un peu plus haut. Comme si tous les chemins menaient à Mariette, on finit par apercevoir au loin cette petite dame fluorescente, panneau rond «Stop» à la main, ouvrant grand ses bras sur le passage piéton du chemin Lullin, au niveau de la ferme Rosset. «Vous avez raté toute la troupe, je me suis dit qu’en les suivant vous me trouveriez!» La veille au téléphone, elle avait dit que cette rencontre lui collait la trouille. En vérité, elle est au moins aussi à l’aise que bavarde. La malice dans ses yeux vous happe, ses éclats de rire vous contaminent. On voudrait les enregistrer et se les repasser secrètement en boucle, les jours de mauvaise humeur.
Peu étonnante alors, la convivialité quasi familiale qui la relie avec les écoliers croisés et leurs parents, entre quelques rares passages de voitures. Manifestement, les enfants adorent cette grand-mère publique qui veille sur leurs traversées. Elle est un élément clé du trajet qui les mène à l’école. Au point qu’un petit garçon s’étonnait de l’avoir croisée à la Migros, persuadé qu’elle «habitait le passage piéton». Techniquement, ce n’est pas tout à fait faux. Car la proximité de son domicile, à cent mètres de là, lui permet d’assurer facilement les nombreux va-et-vient quotidiens des groupes d’enfants.
Neuf heures. C’est déjà l’heure creuse. Mariette s’apprête à rentrer chez elle, comme tous les matins. Elle reviendra pour 11h30, puis 13h15, puis 15h50. «J’ai du temps, et je déteste arriver en retard. J’ai un toc avec les horloges, c’est idéal pour ce job! Au vu des horaires très découpés dans une même journée, je pense que ce n’est pas si simple de trouver quelqu’un d’aussi disponible pour travailler comme ça. Nous sommes trois, mais bientôt nous serons quatre. Ils construisent beaucoup par ici, il y a d’autres endroits à sécuriser pour les passants».
Des lettres et des chats
«Oui, ici, c’est vrai, c’est ma rue!» Mariette Trachsler est une Troinésienne de cœur. Originaire de Krumennau dans le canton de Saint-Gall, elle naît à la Servette en pleine Seconde Guerre mondiale. C’est pour retaper une maison avec son époux à Troinex qu’elle adoptera la commune dès les années 70. La commune, Mariette la connaît autant qu’elle y est connue. En 1995, alors qu’elle se trouve dans une phase de reconstruction personnelle, une offre d’emploi de postière tombe du ciel. Elle se dit que c’est un signe. Celle qui, adolescente, avait exaucé le rêve de sa mère en suivant un apprentissage de postière, deviendra le «facteur 22» de Troinex quelques décennies plus tard. «À l’époque, on quadrillait toute la commune à quatre. Vous finissez par connaître tout le monde. Bien sûr, il y a le secret postal, mais les enveloppes en disent parfois long sur vous. Cela crée une vraie confiance avec les gens, une proximité. Pour certains j’arrosais même les plantes ou je m’occupais de leurs chats!»
Les félins sont l’autre grande passion de Mariette. «J’ai été longtemps baby-sitter, maintenant je suis la dame aux chats des autres, quand ils partent en vacances.» Par bouche-à-oreille, l’ex-factrice est devenue une sorte de bonne fée de la commune, qui ouvre facilement sa porte. Des jouets jonchent le sol. Les murs de son appartement sont couverts des dessins de Luke, son petit-fils, qu’elle garde tous les lundis. «Vous savez, ses parents et lui, ce sont les trois amours de ma vie».
L’éternel est son berger
«Je dois quand même vous dire que je suis chrétienne». Pas prosélyte pour un sou, Mariette Trachsler s’excuse presque de faire l’aveu de sa foi. Dans l’intimité de son canapé – son chat gris Caïpi sur les genoux – elle expliquera qu’elle assume sa croyance comme une forme d’espoir nécessaire. Elle invoque souvent son Dieu dans les grandes épreuves comme les petits tracas de la vie. «Je l’ai vu à l’œuvre dans les moments les plus difficiles. Et puis j’ai une âme quand même! Je ne peux pas me résoudre à l’idée qu’elle n’ira nulle part! Bon, par contre, j’ai peur de souffrir, évidemment…». Pudiquement rieuse, elle racontera que les rendez-vous médicaux l’angoissent un maximum. Ceux-ci, soigneusement inscrits sur un post-it dans sa cuisine, s’accompagnent tous d’un psaume x ou y, pour que tout se passe bien. Le numéro 23 sera celui de sa disparition. «Il ne faut pas trop en parler à mon fils, c’est comme pour la chute en trottinette, sinon il va me la confisquer!» Craignant pour sa sécurité à 80 ans, son fils Damien lui avait en effet déjà interdit le vélo. Mariette éclate dans le même rire espiègle couvrant cette confidence faite un peu plus tôt au pied de l’immeuble, dans sa parcelle du potager communautaire. Tout près du chemin où elle adore aller se promener, seule avec ses pensées.
Une femme active
«J’ai une tête à travailler, moi, vous ne trouvez pas? Je crois vraiment que je n’ai pas une tête à rester tranquille chez moi». Si Mariette avait pu, elle aurait continué la Poste, à se lever tôt, même si le rythme n’était plus compatible avec son goût pour la chorale. Elle se souvient qu’un temps, rentrant trop galvanisée par les concerts, elle ne pouvait plus s’endormir. Il avait fallu renoncer. «J’ai privilégié mon travail. J’aimais tant cette activité que j’ai réussi à la faire durer encore jusqu’à 66 ans avec une dérogation, mais après la Confédération ne l’autorisait plus. J’ai dû prendre ma retraite.» La veilleuse de Troinex continue de s’investir aux heures autorisées. «Vous savez, je le sens vraiment quand les enfants vont moins bien, quand ils sont contrariés ou que quelque chose ne va pas à la maison.» Mariette aime son rôle au-delà du gilet de sécurité. Et elle y tient. «C’est vous qui me direz quand je ne peux plus travailler» avait-elle répondu à la dernière réunion d’organisation avec la mairie.
On la verra donc encore longtemps sur les bandes blanches du passage clouté, derrière l’école, plaisantant avec son «p’tit Louis trop chou» et les autres enfants qui grandissent. Les horloges retentissent dans l’appartement. Il est à nouveau l’heure d’aller patrouiller.
Bio Express
Naissance de son fils Damien
Devient factrice de Troinex
Naissance de son petit fils Luke
Devient patrouilleuse scolaire
Le saviez-vous?
950 enfants de moins de 15 ans subissent un accident à pied, vélo ou trottinette par année en Suisse
190 enfants sont grièvement blessés
40% des accidents ont lieu sur le chemin de l’école
4’800, c’est le nombre de patrouilleuses et patrouilleurs assurant leur sécurité dans toute la Suisse
Plus de la moitié des patrouilleurs sont eux-même écoliers
(Sources: Bureau de prévention et accidents (BPA), 2022)