Stéphane Zbinden est passionné d’histoire, d’automobiles et d’écritures anciennes. Il est aussi le directeur de l’Ecole de Troinex, où il transmet les valeurs de mixité sociale qui ont jalonné son parcours d’enseignant. Rencontre avec un homme qui aspire toujours à se renouveler, au milieu des livres et d’un grand toboggan.
Se retrouver dans le bureau du directeur: n’est-ce pas un vieux démon partagé par l’ancien élève en chacun de nous? Cependant, c’est dans la bibliothèque scolaire que nous discutons, et Monsieur Zbinden, du haut de sa sympathie, chasse tout souvenir sévère. Il vient de terminer sa troisième année à la tête de l’établissement qui accueille 630 élèves dont plus de 300 à Troinex cette rentrée. La passion de la transmission des savoirs saute aux yeux chez ce natif de 1968, qui a grandi et fait ses premières classes à Veyrier-Village. «C’est drôle qu’après tout ce temps, l’établissement que je dirige aujourd’hui – et qui rassemble les écoles de Veyrier et Troinex – remplace celle que je fréquentais dans mon enfance». Le parcours personnel et scolaire de Stéphane Zbinden est fait de ces boucles et correspondances qui semblent n’avoir laissé que peu de place au hasard. «La vie passe mais les choses se répètent» résumera-t-il à l’évocation presque sociologique de ce qui fait qu’il est ici aujourd’hui.
Archéologie d’une vocation
C’est dans les écritures anciennes que va éclore la passion de Stéphane Zbinden pour l’apprentissage, l’histoire et le langage. «Mon grand-père était pasteur. Je m’intéressais à la théologie, la médecine et les lettres classiques. Cette tradition protestante familiale y est pour quelque chose. J’avais le goût d’étudier. J’ai été retenu en lettres, comme si la vie avait choisi pour moi, alors j’ai suivi ce chemin». Enthousiaste, Stéphane Zbinden digresse dans une explication érudite sur le grec ancien et les racines du linéaire 2, une langue mycénienne oubliée faite de syllabogrammes que seuls quelques férus adeptes dans le monde – dont il fait partie – savent lire. Mr Zbinden est animé par la compréhension de l’origine des choses. «Le Nouveau Testament est écrit en grec, par exemple. C’est quand même intéressant de comprendre pourquoi, alors que Jésus parlait araméen, non?»
L’apprenti chercheur rencontre son épouse à l’université. Ils se marient à 25 ans. Le couple aura rapidement quatre fils. «à trente-quatre ans, la famille était déjà au complet. Le peu de débouchés dans mon domaine et les obligations de nourrir les miens explique que je me sois rapidement tourné vers l’enseignement.» Son épouse était encore en études, elle deviendra aussi enseignante. Et d’affirmer ainsi: «J’étais très redevable à l’instruction publique; car venant d’une famille simple, j’ai pu faire des études supérieures».
L’école, ascenseur social
Avant de devenir directeur de l’Ecole de Troinex, M. Zbinden exerce son premier poste de directeur pendant sept ans au Mandement, groupe scolaire regroupant les communes de Satigny, Dardagny, Russin et La Plaine. Avant cela, il a multiplié les expériences d’enseignement tant dans le privé que le public. Il a même embarqué toute sa tribu pour un échange d’une année au Québec. «Je m’ennuie assez vite, j’aime évoluer dans différents espaces sociaux et tenter de nouveaux défis. J’encourage d’ailleurs beaucoup mes enseignants aujourd’hui à tenter des aventures ailleurs. Je pense en effet qu’on est forgé par ces détours, et que l’on peut apporter beaucoup de soi en retour.» On est ébloui par sa conviction du rôle clé que joue l’école pour pallier la reproduction sociale des inégalités. «Je me souviens qu’à l’époque où je dirigeais le Mandement, la commune avait ouvert un centre d’accueil pour les réfugiés de guerre syriens et afghans. Nous avons dû construire une stratégie d’accueil et d’apprentissage pour des enfants qui n’avaient parfois jamais eu accès à l’école. C’était un des plus beaux défis de ma carrière. Localement, ce choix de mixité sociale avait été salutaire tant pour les enfants réfugiés que les habitants plus privilégiés de la commune.» Cette sensibilité tient encore une fois pour partie dans l’origine des choses: «Mon père était un réfugié de guerre. Comme d’autres Confédérés, il était revenu en Suisse en 1943 par les trains du CICR. Il venait de France où son propre père avait été envoyé dans les communautés protestantes résiduelles, d’ailleurs historiquement persécutées durant les guerres de religion.”
Un directeur impliqué
Durant cette rencontre traversée par la question de l’égalité des chances, on a envie de savoir à quoi ressemble l’école de Troinex, à laquelle Stéphane Zbinden impulse ses directions stratégiques. «La majorité des enfants viennent plutôt de milieux avec un coefficient social assez élévé. Mais nous avons aussi, comme dans beaucoup d’établissements genevois, une classe d’accueil, dans laquelle sont scolarisés par exemple des enfants ukrainiens résidant dans la commune. Cette dernière a d’ailleurs financé le transport quotidien en taxi de ces élèves pour qu’ils puissent se rendre dans cette classe située sur le site de Veyrier.» Travailler au développement des compétences de tous les élèves, quel que soit le milieu social dont ils proviennent, c’est précisément le rôle de l’école publique. Contre la reproduction des inégalités, «les enseignants participent à de petits miracles ; et même si ma fonction est très administrative, et que la magie du terrain de l’enseignement me manque parfois, comme voir des enfants surmonter des obstacles, je pense que mon parcours d’enseignant me permet de valoriser une approche pédagogique de direction». Le directeur réaffirme les piliers de son mandat que sont la sécurité des élèves, la qualité de la prestation scolaire, et le bien-vivre ensemble.
Les afters du directeur
Ce bien-vivre ensemble est particulièrement clé dans une école de village. Alimenter les activités extra scolaires, entre habitantes et habitants, permet aussi des moments de sociabilité qu’il aime faire durer. Créer des rencontres, échanger entre générations. «C’est un ciment social» décrit Stéphane Zbinden. A l’image du Voyage imaginaire, une comédie musicale de fin d’année montée par les enseignants de l’école, qui fut notamment présentée aux aînés de Troinex. A l’interne, l’équipe éducative pluridisciplinaire travaille sur le «zéro déchet» à l’école et s’attèle à un projet de prévention numérique à destination des élèves. En attendant, quand il dépose sa casquette de directeur, Stéphane Zbinden soigne des automobiles anciennes, assurant la transmission de cette autre passion à trois de ses quatre fils. Vous avez dit reproduction sociale?
Bio Express
Naissance de Stéphane Zbinden à Chêne-Bougeries
Premier poste d’enseignant à Thônex
Mariage avec son épouse, Ingrid Staudenmann
Diplôme universitaire de Lettres, Master en Grec ancien
Naissance de leurs quatre fils Guillaume, Arnaud, Basile et Ulysse
Poste à Conches puis Thônex
Départ au Québec pour une année d’échange
Devient directeur de l’établissement du Mandement
Devient directeur de l’Ecole de Troinex