Janine Berberat a été députée au Grand Conseil pendant douze ans. Elle a fait de la reconnaissance des ainés son grand combat politique. Rencontre avec une Troinésienne animée par les autres, les mots et la croyance en l’autonomie.
Janine Berberat, 6ème personnage de notre série de portraits Les gens qui font TroinexElle nous a pris dans sa voiture avant de tourner à droite juste après l’ancien panneau communal. Sa maison repose sur une ligne aquatique qui sépare Troinex et Veyrier avant de se jeter dans la Drize : le ruisseau des Marais. «Je suis une vraie frontalière» plaisante Janine Berberat. Dans le jardin, elle nous fera remarquer un olivier sous lequel elle se recueille et lit quand les jours sont cléments. Comme elle, il est venu d’ailleurs pour s’enraciner solidement dans ces terres de campagne. Cela fait quarante ans que cette fille d’immigrés italiens réside dans la commune qui lui a fait confiance et l’a élue au Grand Conseil en 1993. Elle y consacrera douze années de sa vie, révélée peu à peu par la «chose politique» et sa propre capacité d’intégration.
C’est que Janine Berberat a appris à faire sa place sur le terrain. Cette femme a le goût du contact. Elle aime les gens, c’est immédiatement perceptible. Son regard s’anime, amusé, lorsque remontent des images déterminantes de son parcours. A douze ans, on la chambre en l’appelant «Macaroni» au lieu de son patronyme, Marchesini «Je me rappelle rentrer de l’école perturbée et de mon père qui restait silencieux, avant de me dire : «Partout dans la vie, tu devras trouver ta place. C’est à toi de faire apprécier les macaronis à ceux qui ne les connaissent pas». Je ne suis pas certaine d’avoir tout à fait compris à l’époque, mais c’est resté ancré en moi».
Le goût du sens
Son père, mélomane, rejoint l’entreprise de construction familiale pour en gérer la comptabilité. Sa mère travaille en cartonnerie. Les deux parents étaient arrivés tout jeunes d’Italie. «J’étais d’une génération traditionnelle où les filles ne faisaient pas d’études et si possible, on les mariaient assez vite» ironise-t-elle. Janine épouse un jurassien et devient Berberat. «La liberté des femmes était bien différente mais j’avais un caractère qui faisait que j’ai pu faire ce que j’ai fait». Tenant à être indépendante de ses parents, elle travaille tout en assistant en auditrice libre à des cours de psychologie et de théologie. «Je crois que la question du sens m’a toujours intéressée : comprendre pourquoi l’humain crée un ou plusieurs dieux, par exemple. Sans doute pour équilibrer sa vie ? Je suis croyante mais je n’apprécie pas les dogmes car j’ai besoin de comprendre une règle pour me l’approprier».
Les dames dans leurs voitures
Elle arrive à Troinex en décembre 1981. «J’ai dû amener mon fils de 5 ans à l’école en janvier. En le déposant pour la première fois, je me rappellerai toujours de toutes ces dames dans leurs voitures. Je me suis dit que je n’arriverai jamais à interagir. Je n’allais quand même pas toquer à leur portière et me présenter comme «la nouvelle !» Janine Berberat croit surtout à l’action commune comme outil de rencontres. C’est d’abord par l’Eglise qu’elle intègre la communauté de Troinex, en se proposant comme bénévole pour les kermesses, tour-à-tour avec les protestants et les catholiques. «Je me suis adaptée facilement car j’avais l’habitude, c’était l’œcuménisme avant l’heure dans ma propre famille !» Janine Berberat ne cesse de créer du lien. Tout s’enchaine. Elle fonde un club de volleyball avec Félix Israël puis rejoint les groupes de lecture, ces lieux de sororité et d’insertion efficaces. «Bien avant les réseaux sociaux, ces groupes autour du livre foisonnaient à Genève. On abordait des thématiques importantes grâce auxquelles chacune déboutonnait un peu sa vie».
éclosion d’une politicienne
Elle se souvient d’une initiative qui circulait, dénonçant le niveau des écoles en baisse. «Je refusais pour autant de mettre mon fils dans le privé car j’ai toujours pensé qu’il valait mieux défendre l’école publique que la contourner». Premier acte politique. Sa vocation et son engagement se révèlent véritablement auprès de Béatrice Luscher, l’ancienne Maire de Troinex. «Elle m’a entrainé. Cela correspondait à cette idée avec laquelle j’avais grandi de devoir me mouiller pour faire avancer des idées». Janine Berberat tombe des nues lorsqu’elle est élue députée du canton. C’est inattendu. Galvanisée par cette confiance accordée par sa commune, elle «saute dans un train en marche qui n’a pas ralenti pendant douze ans». Elle apprend les rouages sur le tas, s’épanouit dans un groupe conséquent du Parti Libéral, préside des commissions et se passionne pour le terrain. Assez vite, elle s’oriente vers le combat pour la reconnaissance des plus âgés. «Je suis pour le libre arbitre ; pour que les personnes vulnérables puissent garder la plus grande autonomie plutôt que l’institution écrase les gens par une assistance à outrance qui les rend débiteurs et dépendants». Aujourd’hui, forte de la construction d’un réseau solide, les convictions de celle qui a présidé Pro Senectute Genève continuent de s’exprimer bénévolement dans des actions pour le conseil des anciens de Troinex et la PLATEFORME des associations d’aînés de Genève.

La foule
«Cacher son âge, c’est supprimer ses souvenirs». Janine Berberat a fait du dicton d’Arletty le sien. Lorsqu’on l’interroge sur ses projets, c’est une jeune octogénaire enthousiaste qui nomme le désir de poursuivre aussi longtemps que possible ses luttes pour un «mieux vieillir». Janine Berberat voit loin. Elle n’a pas d’autres attentes que celle d’être surprise par le chemin lui-même et par la foule, qu’elle aime observer depuis les terrasses. Elle partagera les souvenirs d’un voyage singulier à New-York où elle passait des heures avec son fils à simplement regarder les gens, fascinée par ce spectacle urbain. «Cette fourmilière humaine qui grouille me rassure sur la vie et la continuité. D’abord je me sens moins seule et mes problèmes semblent plus petits. Je me dis qu’après moi il n’y aura pas le déluge. Il y a eu un avant et il aura un après». Au milieu de cette foule grandiront surtout ses deux petites filles, qu’elle évoque sur le chemin du retour avec une émotion et une tendresse tournée vers l’avenir.
BIO EXPRESS
Naissance de Janine Marchesini
Mariage avec Claude Berberat
Naissance de leur fils, Cédric
Présidence de Pro Senectute Genève
Présidence de la PLATEFORME des associations d’aînés de Genève
Présidence du Conseil des aînés de Troinex

Mieux vieillir ensemble
Janine Berberat voit dans le système de la PLATEFORME une démonstration de la puissance associative ainsi qu’un véritable modèle de société.
Janine Berberat, vous semblez défendre l’associatif avec ferveur…
D’abord, en Suisse, l’associatif a permis de gagner de nombreux combats, comme l’AVS. Pro Senectute aussi est née d’initiatives de mises en commun citoyennes. C’est un bon indicateur de ce qui peut manquer socialement, tout en témoignant d’un vrai dynamisme sur le terrain. Rien qu’à Troinex, il y a plus de vingt associations !
Pouvez-vous nous parler de la PLATEFORME des ainés dans laquelle vous êtes engagée ?
Des associations se sont regroupées pour créer une plateforme fédérée autour des enjeux concernant les seniors, rejointe ensuite par des institutions publiques comme l’IMAD, des services sociaux communaux, ou encore les universités. Cela permet de mieux coordonner les efforts, de se donner plus de force pour repérer des enjeux importants et contribuer ainsi à guider une véritable politique des ainés.
Quels types de combats menez-vous concrètement ?
La mise en commun de problématiques parfois disséminées a permis d’identifier par exemple les «risques d’isolement» pour les personnes âgées, notamment pour les proche-aidants : lorsqu’une personne à laquelle nous nous sommes consacrés disparait, nous pouvons glisser potentiellement assez vite vers une perte de liens. Grâce à la plateforme, nous avons pu nous coordonner efficacement et sortir une brochure à ce sujet.

