Pour se situer à Troinex, l’église arménienne, à l’architecture si caractéristique, est souvent utilisée comme point de repère. Alors qu’un projet de jumelage entre Troinex et un village arménien est en bonne voie et sera présenté à la population lors d’un événement spécial organisé le 20 septembre, revenons sur l’histoire de cet édifice religieux unique qui marque l’entrée de notre Commune.

Construite en 1969, la seule église apostolique arménienne de Suisse permet à des Arméniennes et Arméniens de tout le pays de se retrouver dans ce lieu de culte et dans le centre culturel attenant, que ce soit pour des célébrations religieuses, des fêtes ou des événements en lien avec l’histoire et la culture arménienne. Mais pourquoi le village de Troinex a-t-il le privilège d’accueillir cette communauté depuis 56 ans? Pour le comprendre, nous avons notamment fait appel aux connaissances et souvenirs de M. Daniel Papazian, président de la Fondation Saint-Grégoire l’Illuminateur (propriétaire de l’église) et dont le grand-père est arrivé à Genève en 1920.
La communauté arménienne en Suisse et à Genève
Vers la deuxième moitié du XIXème siècle, une partie de la bourgeoisie arménienne aimait séjourner sur les rives du lac Léman et de plus en plus de familles s’installèrent à Genève et dans la région, de sorte que dans les années 1920, une petite communauté avait une vie sociale et cultuelle dans les traditions arméniennes. Par ailleurs, la réputation des universités suisses attirait passablement d’étudiants d’origine arménienne en provenance du Moyen-Orient. Après la seconde guerre mondiale, la communauté s’agrandit encore avec l’arrivée de nombreux Arméniens provenant du Liban, de Syrie et d’Iran qui trouvèrent refuge en Suisse.
La recherche d’un lieu
«La communauté arménienne empruntait l’église anglicane de la rue du Mont-Blanc pour des célébrations lors de grandes fêtes religieuses», se remémore Daniel Papazian. «C’est mon grand-père qui conservait chez lui les ustensiles utiles aux offices et qui les amenait à chaque fois avec sa voiture. Je me souviens l’avoir aidé à les transporter».
Le besoin de disposer de son propre lieu de culte se faisait donc de plus en plus sentir et grâce à un mécène, Hagop Topalian, qui offrit en 1963 la somme de 480’000 francs pour construire une église, la communauté arménienne de Suisse se mit à la recherche d’un lieu approprié. Un premier projet fut envisagé sur le plateau de Champel, mais il échoua. Puis un terrain situé au bord de la Drize à Troinex fut trouvé et acquis en 1965.
La construction de l’église Saint-Hagop de Troinex
La communauté fit appel à un architecte arménien, Edouard Utudjian. Celui-ci dessina les plans en s’inspirant d’une église du VIIème siècle qui se situe près d’Erevan et qui est toujours en service. Après six ans de levée de fonds et de travaux, l’édifice fut inauguré en mai 1969 et consacré le 14 septembre 1969 lors d’une cérémonie. Le Courrier de l’époque titrait «Solennelle consécration de l’église arménienne de St-Hagop» et relevait que «M. Pictet, maire de Troinex, réitéra ses vœux de totale bienvenue à la communauté». Quant à la Tribune de Genève du 19 septembre 1969, elle citait l’architecte, M. Utudjian: «Cette église de Troinex est la troisième «cathédrale» arménienne récente qui existe dans le monde. J’ai construit auparavant celle de New York et celle de Paris. Pour cet édifice genevois, nous étions limités par la place et les crédits. Nous l’avons donc faite petite, mais pure».
La pose de la 1ère piere

Comme c’est la coutume lors de la construction de bâtiments importants, une cérémonie est organisée au moment de la pose, symbolique, de la première pierre sur laquelle l’édifice sera érigé. Cet événement eut lieu le 27 mars 1966 et voici comment il est relaté dans le Journal de Genève et la Gazette de Lausanne: «C’est par un temps hargneux, pluvieux et froid que s’est déroulée l’émouvante cérémonie de la pose des premières pierres de l’église arménienne de Suisse, présidée par Mgr Seroté Manouguian, primat de l’Eglise arménienne apostolique de Paris. Premières pierres au pluriel, puisqu’il y en a 16, pour chaque apôtre d’abord, pour les évangélistes Luc et Marc, pour Saint Paul et pour Saint Grégoire l’Illuminateur, premier patriarche d’Arménie… A la fin de la cérémonie, on déposa dans un cylindre de plomb un parchemin relatant en français et en arménien la date et les circonstances de la fondation, et on y joignit un exemplaire de la Tribune de Lausanne et de La Suisse…». Journal La Suisse qui fut du reste fourni en dernière minute par des Troinésiens! Margot Salzmann se rappelle en effet: «J’assistais à l’événement avec mes parents en tant que voisins ; à un moment de la cérémonie, la personne qui présidait a demandé si quelqu’un pouvait fournir un journal du jour. Mon père (M. Jacques Chappuis, qui a présidé le Grand Conseil genevois en 1982) a levé la main et ma mère a couru à la maison chercher La Suisse du jour!»
L’intérieur de l’église avec les arches.
L’église en 1979, alors que le sous-sol n’était pas encore construit.Tout repose sur les arches
Conçue selon les plans de l’église Sainte Hripsimé, érigée au XIIème siècle à Erevan, capitale de l’Arménie, l’église a été construite conformément aux principes inventés par les Arméniens, c’est-à-dire que tout repose sur les arches. «Oui, on pourrait enlever les murs, l’église ne s’écroulerait pas. Les murs ferment, mais ne consolident pas. Tout tient grâce à ces croisements d’arcades qui furent à l’origine du gothique» expliquait l’architecte Utudjian dans la Tribune de Genève du 19 septembre 1969.
Le bâtiment, dont les façades rappellent le tuf d’Arménie, est doté de fondations cruciformes et d’une coupole à seize faces recouvertes de tuiles émaillées de couleur turquoise. «Il respecte fidèlement les critères de l’Eglise apostolique arménienne» relève Daniel Papazian, «à l’exception de son orientation: l’hôtel aurait dû être tourné vers le Levant, mais en raison de la configuration du terrain, cela n’était pas possible et il a fallu une dérogation du Saint-Siège!».
Un centre communautaire en sous-sol
Dès le début du projet, un centre culturel était prévu au sous-sol, mais pour des raisons financières, les travaux n’ont pu être réalisés immédiatement. Une recherche de fonds a été lancée qui a permis de débuter la construction, mais suite au terrible tremblement de terre de 1988 (voir encadré), tous les fonds ont été envoyés en Arménie. Finalement, une solution a été trouvée pour financer la fin des travaux d’un espace de près de 800 m2 composé d’une grande salle polyvalente, de bureaux, d’une école et d’une bibliothèque contenant plus de 8000 ouvrages, dont certains très rares.
Tremblement de terre de 1988: Troinex et Genève se mobilisent

En décembre 1988, un violent tremblement de terre a durement touché le nord de l’Arménie, faisant des dizaines de milliers de victimes. Rapidement, des dons affluent de toute part, submergeant l’église Saint-Hagop (voir photo). La population troinésienne, le Maire M. Dottrens en tête, s’est mobilisée des jours durant pour trier les habits et les marchandises, puis les charger sur des camions en partance pour l’Arménie. L’armée suisse est même venue apporter son aide.
Une nouvelle adresse: la place d’Arménie
Cela peut être considéré comme l’aboutissement d’un magnifique projet: le 7 mai 2022, les représentants de la communauté arménienne et les autorités communales célébraient la pose de la plaque officialisant le nom de «place d’Arménie». Cette nouvelle dénomination, approuvée par le Conseil municipal de Troinex et par le Conseil d’Etat, permet à l’église et au centre culturel de se situer désormais à l’adresse «place d’Arménie no 2», un cadeau inestimable pour Daniel Papazian.
Comme aimait à le dire M. Anthony Dottrens, Maire de Troinex de 1975 à 1991, «la présence de 3 églises participe à la qualité de vie de notre Commune». La plus jeune, l’église arménienne, y contribue sans aucun doute.

La plaque officialisant le nom de «place d’Arménie.
La coupole de l’église.Les dates importantes
Donation d’Hagop Topalian, riche commerçant résidant en Italie, pour construire l’église
Acquisition du terrain financée par la communauté arménienne de Suisse
Pose de la première pierre
Inauguration de l’édifice béni par le chef suprême de l’Eglise apostoliquearménienne
Création du centre culturel arménien en contrebas
du terrain
Inauguration de la Place d’Arménie
Sources:
- «Histoire de Troinex»
- Article de la Tribune de Genève du 06/09/2019