Etrangement, l’arrêt de bus «Troinex-Ville» ne se réfère pas au centre-ville de la Commune: alors que se cache-t-il derrière l’histoire de ce hameau.. fantôme?

Troinex-Ville, ou plutôt… Troinex-la-Ville. Il faut rembobiner une première fois autour de la Réforme de 1536, pour comprendre à quoi ressemblait ce domaine terrien constitutif du territoire de «Troynex». Une histoire de déplacement, une terre de réfugiés. En effet, la constitution de Troinex est intrinsèquement liée à celle de l’histoire de Genève, dont le caractère est marqué par les persécutions religieuses du XVIème siècle en France, notamment avec la première vague d’émigration qui s’en est suivie, dès les années 1540. A cette époque, de nombreux protestants fuient vers Genève, dite la «Rome protestante», où Calvin travaille à installer durablement la Réforme.
Les terres reviennent alors à plusieurs lignées de descendants. Samuel Crespin d’abord, libraire et éditeur genevois, hérite d’un quart des biens en terres et bâtiments de son père, l’imprimeur Jean Crespin, exilé genevois originaire d’Arras, dans le Pas-de-Calais. Ce dernier est l’auteur du Livre des Martyrs, un classique de la littérature reformée. Par alliance avec des descendantes de réfugiés italiens, le domaine passe dans les mains de Nathan d’Aubigné, médecin et mathématicien établi Genève en 1620 avec son père, Agrippa d’Aubigné, poète de renom et soldat activement engagé dans la défense militaire de la cause réformée en France. Au XVIIIème, où l’emprise genevoise sur Troinex est importante, le domaine agricole de Troinex-la-Ville, reste aux mains de la famille d’Aubigné.
A l’époque, le cœur de chaque domaine agricole est généralement constitué par une maison de maître, une autre pour le métayer, et de nombreuses dépendances. Chaque hameau rassemble les bâtiments de deux ou trois domaines. En 1754, Troinex devient savoyarde, avant de redevenir genevoise en 1815. Le traité du 30 mai 1817 en fait une Commune autonome. Malgré l’industrialisation et la croissance spectaculaire de l’agglomération genevoise au fil du XIXème, Troinex reste l’une des plus petites communes du canton, mais se considère dans les écrits de l’époque comme une banlieue. Les domaines de Troinex gardent leurs spécificités et ne sont pas morcelés. Celui de Troinex-la-Ville passera des mains de la famille Cramer à la famille Lullin, prêtant ainsi son nom à un chemin bien connu de la Commune.
Vestiges gallo-romains
Mais il faut creuser un peu plus loin dans les marais – et dans la pierre – pour s’approcher de ses origines les plus anciennes… Troinex est célèbre auprès des spécialistes de la préhistoire, écrit Catherine Santschi, pour sa célèbre Pierre-aux-dames, trouvée sur le territoire de la Commune. Objet de nombreuses hypothèses, elle atteste d’une présence humaine à Troinex dès le néolithique. Etymologiquement, selon l’historienne genevoise, le nom de Troinex, ou «Triuniacum», est attesté pour la première fois dans un document datant des alentours de l’an 1100, avant d’apparaître en 1201 sous les formes «Tronacum», «Troisnacum», «Trosnay» et «Troisna».
De tels vestiges laissent à penser qu’à l’époque romaine, il y eut à Troinex une «villa rustica», exploitation rurale importante environnée de quelques fermes, de métairies et autres dépendances. Selon ces hypothèses, «Trionius», phonétiquement, semblerait en être l’heureux propriétaire romain. Mais les archéologues, précise l’historienne, tournent autour de cette (ou ces!) villa romaine qui a sans doute existé, sans en trouver autre trace que des vestiges marginaux. Toutefois, une sépulture et quelques objets de la vie quotidienne furent découverts en 1928 au lieu-dit Troinex-la-Ville, dans une propriété qui appartenait alors à Eugène Lullin!
SOURCES
- «Troinex, l’entrée dans les XXIème siècle», par David Hiler
- «Histoire de Troinex», Association pour l’étude de l’histoire régionale, ouvrage collectif comprenant notamment les travaux de Catherine Santschi et David Hiler
- Troinex: Commune genevoise. Notice historique, Pierre Bertrand
- Bibliothèques de Genève
- Un grand merci à Samantha Reichenbach, Mairie de Troinex, pour ses précieuses recherches