Saviez-vous qu’il y a moins d’un siècle, un tram desservait le village de Troinex et se rendait même jusqu’à Croix-de-Rozon et Collonges-sous-Salève ? A l’heure où l’on parle beaucoup d’améliorer les transports publics dans notre Commune, la Mémoire de Troinex revient sur cet épisode important qui a marqué l’histoire de la mobilité à Troinex.
Entre Troinex et Croix-de-Rozon en 1949. © G. WeltiAlors que le premier tramway genevois remonte à 1862 avec une ligne qui reliait Genève à Carouge, c’est en 1898 que l’on commence à parler du tram à Troinex avec un projet de ligne Carouge – Croix-de-Rozon. Les discussions et études pour déterminer le tracé, obtenir la concession de la Confédération et créer une société qui financera et gérera le projet prennent passablement de temps.
En septembre 1905, le Conseil municipal intervient auprès de divers propriétaires pour qu’ils acceptent de céder les terrains nécessaires. Ces propriétaires se montrent très compréhensifs, au point de céder lesdits terrains gratuitement !
La concession est finalement octroyée le 30 mars 1906. Une société anonyme est constituée le 12 janvier 1907 sous le nom de Chemin de Fer routier Carouge-Croix-de-Rozon (CCR) ; elle est dotée d’un capital de 300’000 francs réparti en actions de 100 francs (voir photo ci-dessus).

La construction de la ligne
Deux itinéraires sont envisagés pour rejoindre Croix-de-Rozon : l’un par la route de Drize, l’autre par la route de Troinex. C’est ce dernier qui est retenu suite à l’insistance du Conseil municipal et de son Maire, M. Tombet, afin que le village de Troinex soit desservi. Une fois les plans approuvés, la construction de la ligne peut commencer. Les travaux, dont le coût s’élèvera à 312’000 francs, ne posent aucune difficulté de sorte que le 6 octobre 1907, la ligne peut être inaugurée et un vin d’honneur (voir encadré) est offert par la Commune ; les frais de cette réception se montent à 155 francs !
Cette nouvelle ligne, la dernière du réseau des trams de l’époque, porte le n°16. Au Rondeau de Carouge, la ligne est raccordée au réseau de la CGTE (Compagnie genevoise des tramways électriques). L’alimentation électrique est assurée par un câble souterrain partant de l’usine de la Coulouvrenière jusqu’au rondeau de Carouge. Cet équipement coûte très cher, 80’000 francs, soit plus que l’achat de 3 motrices.
Le tracé de la ligne
Depuis le Rondeau de Carouge, le tram s’engage sur la route de Drize et doit aborder une forte pente, dont le maximum est de 5,7% sur 80 mètres. Ensuite, la ligne emprunte la route de Troinex. Au niveau du Plateau de Pinchat, on construira rapidement un croisement afin de pouvoir assurer la fréquence du dimanche, qui sera de 30 minutes le matin et de 20 minutes l’après-midi. Le tracé continue jusqu’à la hauteur de l’église arménienne où il tourne à droite pour emprunter le chemin Lullin, traverser la Drize, puis tourner à gauche en direction de la Chaumière ; au niveau du giratoire actuel, on peut encore voir la bande herbeuse qui correspond à la courbure de la voie ferrée de l’époque. Ensuite, le tram coupe le chemin de la Fondelle au niveau de l’ancienne poste, où il y avait une halte (voir photo ci-contre).
La ligne continue en longeant le nant de Sac, coupe la route de Moillebin et monte en direction de Croix-de-Rozon sur un tracé rectiligne encore visible aujourd’hui, bien connu des promeneurs et qu’on appelle « l’ancienne voie du tram ». Elle rejoint ensuite la route d’Annecy au niveau des Rapilles, où se trouvait à nouveau un croisement. La longueur totale du tracé fait 4,6 km, dont 1,7 km en site propre, et il compte 13 aiguillages.
En 1908, la ligne est prolongée jusqu’à Collonges-sous-Salève, où arrive déjà un tram de Veyrier. Il est donc possible de se déplacer en tram de Carouge à Troinex, Croix-de-Rozon, Collonges-sous-Salève et Veyrier, et même de monter au Salève comme on peut le constater sur le plan ci-dessous.
En 1930, la CGTE reprend l’exploitation du tronçon Carouge – Collonges-sous-Salève et l’intègre à la ligne 12. Troinex est donc desservi par le tram 12, ligne bien connue des Genevois !
Le tracé du tram à Troinex.Une ligne de tram très fréquentée
Les rares passages des omnibus qui desservaient la région avant 1907 font place à 15 trams en semaine, nombre qui est doublé le dimanche, jour où de nombreux genevois appréciaient de se rendre à la campagne. Si une seule voiture suffit la semaine, il en faut rapidement 3 le dimanche. Les chiffres de fréquentation de la ligne sont impressionnants : de 168’000 en 1908, le nombre de voyageurs est passé à 419’000 en 1922, année record.
Sur l’ensemble du tracé, 9 arrêts fixes et 5 arrêts facultatifs sont à disposition. Il fallait une dizaine de minutes pour monter de Carouge à Troinex et la même durée était nécessaire pour le trajet Troinex – Croix-de-Rozon.
Station du tram au ch. de la Fondelle.
En orange, les lignes de tram entre Genève et le Salève vers 1920L’accident de 1932
Le 10 avril 1932, une motrice en provenance de Troinex déraillait et se couchait au travers de la chaussée au Rondeau de Carouge. La Tribune de Genève de l’époque relate l’accident ainsi : « Un tram de la ligne no 12, venant de Croix-de-Rozon, allait arriver au Rondeau de Carouge lorsque, pour une raison que l’on ne put établir sur-le-champ, il dérailla à la descente de la route, et après avoir longé un trottoir, vint se renverser devant le café de M. Bocquet… Le trolley arracha volets et fenêtres du café… ».
Cet accident, dont les images sont impressionnantes, fit quelques blessés sans trop de gravité parmi les voyageurs et le wattman. L’enquête fit ressortir que la cause de l’accident était une fausse manœuvre du conducteur « qui aurait manqué de sang-froid lorsque sa voiture, lancée à trop vive allure, s’est emballée ». On apprendra quelques jours plus tard qu’en raison de son erreur, le wattman fut révoqué par la CGTE !


La fin de la ligne Carouge – Croix-de-Rozon
En raison de la déclaration de guerre entre la France et l’Allemagne, le passage de la frontière n’est plus possible et la section Croix-de-Rozon - Collonges-sous-Salève disparaît le 2 septembre 1939. Elle ne sera plus remise en service.
La ligne Carouge – Croix-de-Rozon continue de fonctionner, mais sa fréquentation diminuera peu à peu en raison de la place de plus en plus importante que va prendre le trafic automobile après la guerre.
A la fin des années 40, la fatigue de la voie ferrée nécessiterait une réfection complète fort coûteuse, ce qui pousse la CGTE à remplacer le tramway par des autobus. Le service de trams prend fin le 5 octobre 1952 et le bus H, qui deviendra plus tard le 45, prend le relai. La voie ferrée, elle, est démontée entièrement en 1954. C’est la fin d’une belle histoire qui aura duré 46 ans !